Genji Monogatari


   「空蝉の身をかへてける木のもとに
   なほ人がらのなつかしきかな」
   「at the foot of the tree where the cicada shed its shell,
     how i miss the one who left it behind!」

    Le Dit du Genji (源氏物語) - Un roman complexe qui nous vient du tout début du 11ième siècle, inspiré très certainement de personnages et situations réels de la cour de Heian au Japon, son auteur, Murasaki Shikibu, étant elle même une dame de cour à cette époque. Mêlant amours, politique, trahison et mort, cette œuvre est l'un des romans 'modernes' les plus anciens (voire présenté comme le premier dans son genre) qui se distingue des 'chants' homériques ou récits mythologiques en ce qu'il n'est pas un conte ou épopée. Ceci disant, le terme monogatari peut se traduire par récit en français, et en anglais par tales, mais peut s'appliquer à tout ce qui ne relève pas de la poésie. le Genji Monogatari suit le personnage 光源氏 Hikaru Genji (Genji le Rayonnant) sur toute sa vie et au-delà en mêlant le point de vue personnel des personnages, en suivant leur développement au fil des ans et en en dressant un certain portrait psychologique.

   La difficulté du roman, de son approche et de sa compréhension réside dans sa distance dans le temps et la géographie. Déjà il peut être ardu de lire du Chrétien de Troyes tant les personnages vivent et évoluent dans un contexte disparu, mais quand la distance vient rajouter sa pincée d'étrangeté, la mission tourne en un voyage en véritable Terra Incognita. Pour pouvoir suivre réellement, non pas tant l'intrigue, mais le déroulement du Dit du Genji, il faut connaitre le protocole de la cour, les arts en pratiques, ainsi que les codes littéraires et sociétaux de cette époque et de ce lieu. Entre autre, l'habitude dans la littérature ancienne japonaise de ne presque jamais faire référence aux individus directement par leur nom mais par codes, comme en faisant référence à leur fonction, à la couleur de leurs habits ou encore surnom. Heureusement, je lisais une version abrégée, et heureusement ma femme pouvait me restituer une partie du contexte.
   Au centre du récit, il y aussi beaucoup de poésie. Et comme il s'agit quelque part d'un roman courtois, les intrigues amoureuses occupent une telle place dans la trame de l'histoire, que, dans la version courte, on a vraiment l'impression qu'il ne s'agit que de cela! Or les relations hommes-femmes et maritales sont aussi différentes de celles que l'on peut connaître aujourd'hui, et l'échange de 'billets doux' et de mise, sous l'aspect de court poèmes codés, les waka - et plus précisément dans leur forme courte, les tanka - qui pour un lecteur non averti ne signifiera rien, ou presque. En fait, la plupart sont des 'modèles' qui se faisaient facilement interpréter du public d'époque. Exemple tiré du chap.23 - Hatsune - 初音 | First Warbler  :
Lui :
Pinning over the months and years is this aged one;
upon this first Day of the Rat, let me hear a first note from the warbler.


Elle:
Though it has been years since it departed,
could the warbler ever forget the root of the pine where it first left the nest?
    Aujourd'hui, on est direct, moderne et chébran, on utilise Meetic, MSN ou le language SMS : "K-rin jtkif tro! jtv now!"

   le Genji Monogatari au Japon, c'est un peu l'Illiade et l'Odyssée ici : tout le monde connaît, mais personne n'a jamais vraiment lu complètement. La traduction intégrale française de l’œuvre de Murasaki Shikibu, c'est quand même plus de mille pages. Composé de 54 chapitres de longueur et composition inégales, le roman suit donc la vie de Genji et s'emploie à décrire ses relations aux femmes, ses états d'âmes et son évolution et implications dans les affaires de la cour impériale.
   Chapitre premier
   The Paulownia Court | 桐壺 - Kiritsubo
   Among the women in the palace of the Emperor was one named Kiritsubo, who though only an Imperial Concubine enjoyed the Emperor's undivided affection. Before long she bore him his second son. Other palace women, especially Junior Consort Kokkiden, daughter of the Minister of the Right and mother of the Crown Prince, were consumed with jealousy, and their ill will sent Kiritsubo into a decline. She passed away when her son was only three.
   The sovereign, known as Emperor Kiritsubo, wanted to change the succession in favor of this second son, but in view of an augury by a Korean physiognomist, he instead gave him the name Genji and lowered him to the rank of common nobility to protect him from a struggle to the throne. A child of dazzling beauty, he became to be known as "the Shinning Prince".
   After the death of Kiritsubo, the grief-stricken Emperor was incapable of dealing with affairs of state. Afraid of him, his ministers eventually arranged for him to take another woman as his wife, the daughter of a former sovereign and the very image of the earlier lady. The Emperor's grief left him, and Genji, who was only five years younger than his new stepmother, Fujitsubo, began to transfer to her the longing that he had felt for his dead mother.
   At age twelve, Genji underwent his coming-of-age ceremony, and on the same day, he was betrothed to Aoi, daughter of the Minister of the Left. It was political marriage, and Genji found it impossible to warm to this elegant and reserved woman four years his senior. Instead, his attraction to his stepmother, whom he was unable to see after donning adult dress, continued to deepen to the point of love.

   Genji est donc par la naissance appelé à prétendre au trône, mais les auspices le poussent  à l'écart de la voie impériale. Toujours est-il, il demeure à la cour, n'y occupe pas la moindre des fonctions et deviendra le père biologique du futur empereur. Le nom Genji 源氏 d'ailleurs, fait référence à une prononciation alternative du kanji 源 gen qui peut se lire minamoto et qui était l'un des titres honorifiques donnés aux membres de la famille impériale qui étaient politiquement écartés de la course au trône et rétrogradés au rang de sujets (le kanji 氏 ji vaut pour 'famille', 'clan')  - il existait d'autres clans de même nature : le clan des Minamoto étant le plus connu avec ceux des Fujiwara, Taira, et Tachibana.

   Le "Genji Monogatari" fut très tôt illustré, peut-être même par son auteur même, et l'une des plus célèbres illustrations est le "Genji Monogatari Emaki", une série de rouleaux qui combinait calligraphies et peintures du récit. Datant de la première partie du 12ième siècle, cette œuvre est aujourd'hui incomplète. Et ce n'est pas nécessairement le quatrième de couverture qui me poussait à piocher ce livre dans une librairie d'occasion du vieux quartier de Lyon, mais plutôt sa couverture et les illustrations intérieures.

   La raison de cette chronique réside dans les illustrations qui littéralement enchantent le texte. Cette version abrégée contient des illustrations de Miyata Masayuki, qui, tout inconnu qu'il est pour moi, est un artiste spécialisé dans le papier découpé  et produisit pour chacun des 54 chapitres du "Genji Monogatari" un kiri-e unique. Pour en savoir plus sur l'artiste et son œuvre, voir le blog de JRSM, Caustic Cover Critic. Je mets ici quelques scans (les illustrations étant sur deux pages, vous comprendrez le pourquoi de la ligne du milieu)

(click pictures to enlarge)

chap.5 - Wakamurasaki - 若紫 | Lavender
chap.8 - hana no en - 花宴 | the Cherry Blossom Banquet
chap.18 - Matsukaze - 松風 | Wind in the Pines
chap.29 - Miyuki - 行幸 | Royal Outing
chap.21 - Otome - 乙女 | Maiden
chap.32 - umegae - 梅枝 | Branch of Plum
   Une version courte du "Genji Monogatari" avec quelques illustrations (autres que celles présentées ici)  est accessible en ligne sur le site de l'UNESCO ou sur Google Book, une version japonaise disponible sur le site de de la University of Virginia Library.



the Tale of Genji, Murasaki Shikibu
translation by H. Mack Horton

Heian Soap-Opera
Ed. Kodansha International Ltd, Japan, 2002
ISBN 4-7700-2772-9
première publication : début 11ème siècle





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cet article est publié dans le cadre du Défi Lecture: Images du Japon

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