The Maker of Dune

   Ouvrage publié en 1986 quelques temps après la disparition de F.Herbert aux éditions Berkley Books et édité par Timothy O'Reilly qui, en plus d'être LA référence de l'édition pour ouvrages à vocation logiciel & informatique, s'était fait déjà remarqué quelques année auparavant en publiant une sorte d'apologie de Frank Herbert : "My goal in writing the book was not to be a 'critic', but an enthusiast. I wanted to share the additional information I'd uncovered, to present it in a way that illuminated Herbert's work without diminishing it or 'dullifying' it."
   Ces deux ouvrages, qui sont des points de références pour approcher et comprendre le personnage F.Herbert, ne sont, à ma connaissance, malheureusement pas disponibles en français. Les francophones non-anglophones devront soit se contenter de G.Klein ou bien se faire violence. :)
   L'opus dont il est l'objet dans cette revue est essentiellement une collection de non-fiction déjà publiées de-ci de-là et regroupées à l'occasion d'un exercice de présentation du personnage par ses propres écrits. L'introduction rédigée par O'Reilly en Septembre 1985, soit quelque mois avant que F.Herbert ne décéde, indique ce en quoi le livre consiste : "This is Frank's first collection of nonfiction. It includes essays and introductions written for various collections of science fiction, as well as feature articles written during his long career as a newspaper reporter and editor. It also includes a number of interviews conducted especially for this book and never before published elsewhere." (p1). Mais bien plus important, il s'agit d'apporter un certain éclairage sur les principes directeurs, sur les concepts de base qui animent F.Herbert : "The clarity with which Frank explained some of his basic concepts in these essays made them invaluable for a critic" (p1).
   Les textes rassemblés réveleront les motivations et les sources d'inspirations de l'auteur de Dune, car l'intention de O'Reilly est de montrer comment ses oeuvres de fictions peuvent 'parler' voir 'toucher' les lecteurs; et ces derniers ne doivent pas s'attendre à y trouver des réponses, mais davantage y trouver une source de surprises afin que, enrichis de ce savoir, ils puissent tirer leur propre conclusions. Quelque part, un aphorisme de la Maison des Mères me revient en mémoire : "Uproot your questions from their ground and the dangling roots will be seen. More questions! - Mentat Zensufi" (Chapt. 26, 1)

   La revue qui suit permet de survoler les principaux thèmes du livre selon le fil de lecture.

   Le premier chapitre va ainsi être consacré au thème de la crise et comment ce concept influe grandement la vision de F.Herbert sur la vie et la place de l'homme dans l'univers comme la constatation d'un conflit persistant entre l'insécurité que procure l'environnement dans lequel l'homme vit et le désir de ce dernier pour plus de sécurité. Les choses changent, inlassablement et inéluctablement, et il convient donc de faire avec, d'en tirer profit. "Must we stop the river's motion to understand riverness? Can you understand riverness if you are a particle in its currents?" (p10) Comment ne pas penser à la première loi du Mentat ? "A process cannot be understood by stopping it. Understanding must move with the flow of the process, must join it and flow with it."  (Du~World. 3, 133) . O'Reilly souligne combien dans le champs de la SF les dystopies sont propisces à l'émergence de la figure du héros, et Dune n'offre rien d'une utopie : les êtres sont constamment confrontés à des puissances et des dépendances qui les forcent à prendre des décisions radicales afin de parvenir à leur fin, de réaliser leur destins et non de subir la fatalité qui leur imposés par les dominants.
   Crise, le mot est dérivé du grec krisis et fait référence au jugement, càd à la capacité de distinguer les faits, les responsabilités, les conséquences, plus simplement les éléments dans l'entremêlement dans lequel ils se perdent. Et, plus imaginatif ou illustratif, les idéogrammes employés dans l'écriture chinoise (mandarin) pour l'équivalent du mot crise, 危机 (wēijī) représentent séparément les mots 'danger et 'moment décisif', soit ensemble un moment décisif dangereux.
   Surmonter les fausses barrières, se débarrasser des modes de pensée linéaire, savoir distinguer l'échec dans les succès, casser les motifs récurrents... pour F.Herbert, la science fiction permet dans un monde en crise de faire émerger les figures de la transformation, les éléments de la créativité qui dévoilent le sens véritable de l'univers. "But nature constantly evolves, trying out its new arrangements, its new kinds of life, its differences, its interesting times, its crises. Against such movement, we attempt our balancing acts, our small sallies at equilibrium. In the dynamic interrelationships of the universe around us, we look for models upon which to pattern our lives. But that universe greets us with complexities everywhere we turn." (p28). Ainsi, pour l'auteur, il s'agit de dé-apprendre le certain, et d'apprendre l'uncertain : "there can be no absolute contengency allowance in an infinite universe" (p46)

   Les deux chapitres suivant s'emploient à montrer F.Herbert dans sa personne avec quelques instantanés tirés de sa prime jeunesse, et de sa façon d'être dans son chez soi, puis à travers des écrits portant sur la littérature. Plus proche de la réalité que du personnage perdu dans la mythologie qui s'est peu-à-peu constituée autour de lui, les textes font dépeindre un F.Herbert qui, dans son approche et rapport à la littérature, paraîtra lucide, analytique et problématiseur.

   Le quatrième chapitre s'attèle à la question des origines de Dune. Pas nécessairement dans le sens 'qu'est ce qui donna l'idée de Dune à F.Herbert ?' mais davantage sur les thèmes qui forment la base de 'l'idéologie' qui se dégage de l'oeuvre. Ainsi, les documents sélectionnés vont permettre de comprendre la structure et maturation du plot dans son envergure totale, d'assister à la naissance d'un univers qui dépasse les lignes des romans, et de pointer une critique tenace de la figure du super-héro. Nous découvrons alors un cycle de Dune inspiré par une richesse de référence faites à divers niveaux et qui lui-même entraîne la création de nouvelles références  : la Dune Encyclopedia n'est rien d'autre que la production d'une auto-émulation, la profondeur qu'offre le cycle dans son jeu d'enchevêtrement référentiels permet largement aux plus inspirés de suivre la voie de leur propre imagination.
   Dans un entretien avec son éditeur, F.Herbert nous révèle aussi un fait intéressant sur la méthodologie de la rédaction de la trilogie (Dune, Messiah, Children) : c'est un processus 'rétroactif' et rythmique. "I started building from the back. Where does it have to go? So parts of Children of Dune and Dune Messiah were already written before i completed Dune. And the last chapter of Dune was written in almost its final form." (p105) "This was the first book where I really started carefully applying my ideas about the building of a rhythm within a story." (p105) Plus loin, le rapportage de la correspondence entre F.Herbert et son premier éditeur Campbell permettront de mieux saisir la construction du roman sur le modèle tragique grec de l'anti-héro que Paul et Leto II représentent.

   Dans la cinquième partie, c'est une plongée dans la partie 'prospective' de la SF à laquelle F.Herbert a pu se livrer : comme le commente O'Reilly, il s'agit d'une collection de 'What if?' dans divers domaines. Plus réalistes, ces écrits de fiction tentent un exercice traditionnel de la SF qui consiste à spéculer sur un développement potentiel de l'humanité, de la société sur la base des signes, crises, éléments et tendances qui traversent l'époque. Comme souvent, celles-ci, avec le temps, ne se sont pas vu confirmées, mais elles soulignent encore une fois qu'elle est la part de réalisme et de d'imagination qui doivent être mis en oeuvre pour ensuite tenter une alchimie littéraire qui permettra quelque de projeter le lecteur dans un univers où il se remémorera le jugement de ses grand-parents sur sa propre époque : "You don't wear enough clothes for decency! You don't need all that speed!" (p142).
   Les essais réunis nous proposent une vision d'un futur dans lequel l'humanité tirerai des fonds marins toutes les nouvelles ressources dont il a besoin, une vision de l'homme et de la société transformé par son accès récent dans l'espace, une vision du grand San Francisco en 2068, une vision d'une société qui ne pourra se survivre si elle ne parvient à mieux gérer ses flux de production-consommation dans un esprit proche du développement soutenable.

   Pour toucher à ce qui est dan Dune un leitmotiv central, à savoir l'idée de l'écologie, il faut atteindre le sixième chapitre. Si quelques éléments déjà étaient émergeant dans les parties antérieures (de plus, la nouvelle précédent ce chapitre fait office de transition) la base de l'iceberg est mis à jour en 6 articles. Une distinction va d'abord être faite en écologie et 'environnementalisme' : si le second paradigme tend à retirer toute légitimité à la présence de l'homme dans l'écosystème, le premier va chercher à le re-situer dans ce système via une logique de 'compréhension des conséquences'. L'univers, selon F.Herbert, est infini, dynamique et dangereux; c'est une mer agitée et il convient à l'homme de devenir un surfeur. "This is the lesson of ecological science fiction : Regain our balance and teach our young how to balance" (p168) Et là aussi, difficile de passer à côté d'une autre citation "There's no secret to balance. You just have to feel the waves. - Darwi Odrade" (Chapt. 47,1) [à noter que le terme 'balance*' revient avec plus d'occurrences dans Cod et Chapt (plus 30 fois) que dans les autres livres]
   Aussi, par ce que le monde est complexe, sinon sophistiqué, parfois les solutions ne peuvent être aussi simples ou directes au risque de créer ce que l'on pourrait qualifier 'effets d'évictions', les mesures prises génèrent des comportements qui accélèrent ou amplifient les causes que l'on cherche à combattre. Deux textes sur la pollution de l'air de San Francisco dans les années 60 viennent illustrer le propos, suivis d'une fable expliquée avec une fabrique de poupée et de canons : il faut identifier les dichotomies et rétablir les équilibres en s'appuyant sur les forces existantes en mouvement. Car lorsque F.Herbert fait dire à Pardot Kynes "The highest function of ecology is understanding consequences." (Du~Muad. 8, 15), il veut montrer combien la problématique du système doit être abordée dans un mode de pensé cycliques (ou ciculaires) avec comme moteur la question "how can man best adapt to his dynamic, dangerous environement?" (p157)

   La dernière partie, enfin, regoupe quatre textes, dont deux articles, un condensé d'interview et un brouillon d'anthologie. Leur objectif est de montrer au lecteur, ce qu'est l'idée de l'humain chez F.Herbert, avec comme pivot l'individu : si l'approche holiste nous montre que le système est plus que la somme des individus, l'approche individualiste de F.Herbert va conditionner cette dernière en ce que les individus jouent un rôle prépondérant dans la façon dont , ensemble, ils peuvent réussir (ou échouer) à construire les systèmes qui permettront sa survie et son développement.
   À travers une expérience dans le Sud-Vietnam, il dénonce le système de métayage et montre comment les réforme agraires et la redistributions des terres forment non seulement un barrage au Vietcong mais aussi permettent de replacer les individus dans une logique sédentaire et physiocrate qui leur permettrait de renforcer leur identité et sentiment d'appartenance au système en général. Le texte suivant est plus 'humoristique' (on y apprend pourquoi F.Herbert se laisse pousser la barbe) et, autour de la thématique des OVNI, cherche à montrer combien l'idéalisme est important pour les individus. "They believe men from outer space will step in on Earth 'before it's too late', put a stop to the atomic bomb threat ' by their superior powers', and enforce perpetual peace 'for the good of the universe'. This is unassailable idealism. It partakes of he old messianic dream. It's rooted in the fears to which all men are heir and, thus, deserves sympathy, not censure or laughter" (p228-229).
   À cela suit le résumé d'un entretien entre O'Reilly et F.Herbert qui tourne autour de diverses idées en rapport avec le système éducatif, les divers niveaux de consciences avec lesquels les individus interagissent, et rôle des religions et systèmes bureaucratiques. En dernière place, un texte singulier dont le message se base sur le développement de deux équations : "Food is energy is time. Pollution is lost energy. This si insanity" (p249) "All the time we know we must solve our mutual problem or be destroyed [...] Together is sane. Fragmented is insane" (p250)

   J'arrête ici la description du livre avec juste ce qui peut apparaître comme un 'bonus' pour certains fans de Herbert : les articles qui furent l'objet d'une publication antérieure sont listés avec date et provenance, et une bibliographie étendue se trouve à la fin du livre, avec indication des premières éditions (fictions and non-fictions works). La biographie complète de F.Herbert se trouve de toute façon sur internet, voir le ISFDB.
   En guise de conclusion, je pense que ce livre - dont je n'ai pu trouver de versions autre que US - est un must-read pour qui veut pénétrer plus loin la compréhension du personnage et des thème qui sillonnent ses oeuvres. Définitivement, O'Reilly a ici fait un intéressant travail de prospection et de collection, et ses introduction dans chaque partie aide énormément à appréhender des textes qui parfois, pris hors-contexte pourraient apparaître très hors de propos. Ce livre ne dé-mystifie ni ne mystifie davantage l'auteur et l'oeuvre, mais au contraire, apporte des éléments de réflexion pour penser au plus prés de F.Herbert et de son oeuvre, et au-delà.
   Ayant dit ceci, je ne peux que rebondir sur le quatrième de couverture, où, tout en bas, en un peu plus petit, on peu lire, coincé juste au dessus du code barre, l'annotation suivante de Brian Herbert "Mr O'Reilly has done a fine job here, and deserves to be commended. I will keep this book on the shelf next to my father's literary works".  Sachant ce qu'il [Brian] fit avec son homologue KJA de la la littérature paternelle depuis 10 ans, cette phrase appelle - au risque de l'anachronisme - d'appeler à de violentes réactions vicérales. Je me contenterai simplement de dire que ce livre, en effet, complète l'oeuvre de F.Herbert et que, en plus d'être simplement déposé sur l'étagère à côté des Dune et autres nouvelles, se doit d'être consulté et re-consulté afin de faire apparaître, par jeu de miroitement, les pistes de réflections que nous a donné Frank comme tout héritage, de poursuivre sa réflexion à l'aide de cette lumière et de continuer d'actualiser celle ci.

"I think she got mad. She said the mystery of life isn't a problem to solve, but a reality to experience. So I quoted the First Law of Mentat at her: 'A process cannot be understood by stopping it. Understanding must move with the flow of the process, must join it and flow with it.' That seemed to satisfy her." (Du~World. 3, 133)
#McDune is not #Dune !!

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