L'Autre Face de la Lune

   «Jusqu'à l'âge de dix-sept ou dix-huit ans, toutes mes économies passèrent à amasser des estampes, livres illustrés, lames et gardes de sabre, indignes d'un musée mais qui m'absorbaient pendant des heures, ne fût-ce  que pour déchiffrer laborieusement les titres, légendes et signatures...»
   L'homme du structuralisme, celui qui, pour échapper à ce qui en France aurait pu causer sa perte, s’enfonça à la veille de la Seconde Guerre Mondiale dans les régions du Brésil en ce temps encore à peu près vierge de l'empreinte et de la présence de l'homme dit occidental afin d'aller y chercher les traces des significations cachées des mythes amérindiens c'est aussi beaucoup intéressé au pays du soleil levant. Et certainement plus par curiosité personnelle que par la nécessité professionnelle.
   Dans ces "écrits sur le Japon", on retrouve un Claude Lévi-Strauss enthousiaste et captivant dans sa capacité à pointer les liens qui existent entre les cultures tout en soulignant ce qui font leurs singularités.

   Huit textes et un entretien viennent montrer le Japon sous l’œil du chercheur-ethnologue; un univers qui semble étrange, parfois inversé et surtout si loin. Pourtant, comme il le souligne déjà dans un autre ouvrage*, c'est bien parce qu'il y a de la différence que l'on peut faire des connections. Les passerelles existent et ils nous en montrent plusieurs qui lient ethnologiquement ou culturellement l'Europe et le Japon, ou le Japon et les les Amériques et ce en piochant dans le référentiel dans que ce pays offre en littérature (Kojiki, Nihongi, Heike, Genji Monogatari...) ou en techniques artistiques (là aussi récurrente référence à l'ukyo-e comme point d'accroche pour Claude Lévi-Strauss) il met en évidence la présence de structure mythologique commune entre la Grèce antique, l'Égypte ancienne et les Amérindiens.
   Alors le Japon n'est-il qu'un autre civilisation occidentale simplement située à l'extrémité orientale du continent eurasien ?
   «Mais n'était-ce pas là une façon de reconnaitre qu l’Égypte , pour Hérodote, et le Japon, pour Fróis et Chamberlain, possédaient une civilisation nullement inégale à la leur ? La symétrie qu'on reconnait entre deux cultures les unis en les opposant. Elles apparaissent tout à la fois semblables et différentes, comme l'image symétrique de nous-mêmes, réfléchie par un miroir, qui nous reste irréductible bien que nous nous retrouvions dans chaque détail. Quand le voyageur se convainc que des usages en totale opposition avec les siens, qu'il serait, de ce fait, tenté de mépriser et de rejeter avec dégoût, leur sont en réalité identiques, vus à l'envers, il se donne le moyen d'apprivoiser l'étrangeté, de se la rendre familière.»
   Toute étrangeté s'apprivoise; elle peut, grâce à une certaine perspicacité et des mise en perspectives permettre de cerner l'incompréhensible valeur de chacune.
   «[...] nous étions frappés de constater que, dans les populations qu'étudient les ethnologues, il n’existe pas toujours de mot pour «travail»; quand ce mot existe, il ne coïncidence pas nécessairement avec son emploi en français; là où nous avons un mot, peut-être une autre culture en a plusieurs. Il est donc important de rechercher dans différentes civilisations de quelle manière on conçoit et même on nomme [...] le travail manuel et le travail intellectuel, le travail agricole ou le travail artisanal, sédentaire ou ambulant, masculin ou féminin; il est également important de rechercher quels types de rapports le travailleur, quelle que soit son espèce, entretient avec ses outils [...]; enfin quels rapports à la nature suppose le travail: soit une rapport entièrement actif d'un côté, celui de l'homme, passif de l'autre, celui de la nature, comme le conçoit en général l'Occident, soit, dans d'autres civilisations, un rapport qui prend le caractère d'une véritable coopération entre l'homme et la nature - [...] dans le , le travail a une véritable valeur poétique, précisément parce qu’il représente une des formes de communication entre l'homme et la nature.»
   Simples et abordables, ces textes ne rentrent pas dans de grands détails, mais caressent des éléments du paradigme de l'auteur. On regrettera la faiblesse de la préface de Junzo Kawada qui aurait gagnée à être plus personnelle et plus éclairante sur les motivations et implications de Claude Lévi-Strauss envers le Japon.



*in préface de Traité sur les Contradictions et Différences de Moeurs, Luís Fróis


l'autre face de la lune, Claude Lévi-Strauss


Japon et Anthropologie
Éd. Seuil, France, 2011
ISBN 9782021035254



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