La Guerre du Feu

   Le livre. Pas le film. Roman de fiction préhistorique mettant en scène des à-peu-près hommes à la recherche du Feu dans un cadre qui serait celui d'un temps reculé, lointain et incertain que l'on qualifiera de pré-historique dans son sens le plus large. Publié d'abord en feuilleton en 1909, écrit par J.H Rosny aîné (de son vrai nom Joseph Henri Honoré Boex) qui alors avait interrompu sa collaboration littéraire d'avec son frère, le roman se base certainement sur ce qui se savait à l'époque sur ces temps lointains et brumeux de l'Humanité, mais il ne s'arrête pas, ne cherche même pas, et surtout ne se limite pas à mettre en avant une quelconque véracité paléontologique.
    Quelque part en entre Rahan, le fils des âges farouches, et "Pourquoi j'ai mangé mon père" de Roy Lewis, cette épopée préhistorique nous plonge au cœur d'un monde que nous ne pouvons connaître qu'au travers des fouilles archéologiques et paléontologiques, et celle-ci devient fantastique. Sous la plume,et à la lecture, cette préhistoire est un monde 'plein', les descriptions - même d'environs plus désertiques - montrent aux lecteurs un paysage fabuleusement riche, multiple et vivant, perpétuel source d'événements qui prennent une tournure toujours épique tant ils sont liés à la question de la vie ou de la mort des protagonistes. Et si le roman fait appel à quelques références scientifiques ou tente quelque fois la réduction à l'échelle individuelle de quelques étapes de l'évolution - aussi obsolètes soient les éléments - ce n'est que pour renforcer le caractère initiatique du roman : un "voyage dans la très lointaine préhistoire, aux temps où l'homme ne traçait encore aucune figure sur la pierre ou la corne, il y a peut-être cent mille ans" (texte de dédicace à T.Duret). Les presque-hommes évoluent dans un monde vaste et abondant de vie sauvage, indomptée et indomptable, et surtout sur lequel ils n'ont pas encore assuré leur domination et dont nombre de lois ne lui sont pas encore connues : en parcourant cet univers inexploré, incertain et inquiétant vers l'objet de leur quête, les trois protagonistes feront la rencontre et l'expérience de ses dangers, de ses ressources et de ses opportunités.

   Tentative de résumé:
  La tribu des Oulhamr vient de subir un grave revers dans son existence : attaqué par un groupe d'hominidés concurrent, elle perd de nombreux membres et surtout, chose qui remet sa pérennité encore plus en question, elle perd le Feu*. Car, hormis Le transporter dans quelques lanternes pour Le conserver et transporter, les Oulhamr ne savent Le produire. Il sera décidé par le chef que deux groupes partiraient à Sa recherche, là-bas, chez les Dévoreurs-d'Hommes et Le leur ravir : et l'enjeu est de taille, car s'il s'agit de la survie du groupe, il reviendra à qui ramènera le Feu de prendre la fille du chef comme femme et de diriger la tribu.
   Ainsi Naoh, le Fils du Léopard, accompagné de Nam et Gaw, partira dérober le Feu et sa quête le mènera à traverser des contrées éloignées et nouvelles, à combattre contre ou avec des bêtes aujourd'hui disparues, à faire l'expérience des rencontres pacifiques et belliqueuses avec les autre genres de l'Humanité naissante, à tenter de comprendre les hommes ou les animaux, à trouver les tactiques qui lui permettront de le faire revenir vers le clan, sain et sauf, accompagné du Feu et de ses compagnons.
   Après nombre de rencontres terribles avec les habitants du monde préhistorique, et de multiples combats et  chasses intenses dans le jardin primordial de l'Humanité, Noah devra affronter son rival avant de rapporter, vainqueur, ce qui procurera à lui et sa tribu l'assurance de sa subsistance et de son devenir.

   Fantastique, le roman plairait au lecteur pour son style simple qui fait place aussi bien aux actions quasi-homériques mettant en scènes les hommes et les animaux dans des combats héroïques qu'aux descriptions quasi-nietzschéennes des forces de la vie et de la nature d'une époque dont on ne saura jamais ce qui en était réellement et que l'on ne peut que rêver.

   Extraits**:
   Naoh, Gaw et Nam marchèrent tout le jour sur la savane. Elle était encore dans sa force : les herbes suivaient les herbes comme les flots se suivent sur la mer. Elle se courbait sous la brise, craquait sous le soleil, semait dans l’espace l’âme innombrable des parfums ; elle était menaçante et féconde, monotone dans sa masse, variée dans son détail et produisait autant de bêtes que de fleurs, autant d’œufs que de semences. Parmi les forêts de gramens, les îles de genêts, les péninsules de bruyères, se glissaient le plantain, le millepertuis, les sauges, les renoncules, les achillées, les silènes et les cardamines. Parfois, la terre nue vivait la vie lente du minéral, surface primordiale où la plante n’a pu fixer ses colonnes inlassables. Puis reparaissaient des mauves et des églantines, des gôlantes ou des centaurées, le trèfle rouge ou les buissons étoilés.
   Il s’élevait une colline, il se creusait une combe ; une mare stagnait, pullulante d’insectes et de reptiles ; quelque roc erratique dressait son profil de mastodonte ; on voyait filer des antilopes, des lièvres, des saïgas, surgir des loups ou des chiens, s’élever des outardes ou des perdrix, planer les ramiers, les grues et les corbeaux ; des chevaux, des hémiones et des élans galopaient en bandes. Un ours gris, avec des gestes de grand singe et de rhinocéros, plus fort que le tigre et presque aussi redoutable que le lion géant, rôda sur la terre verte ; des aurochs parurent au bord de l’horizon.
[...]
   D’abord, le combat avait surpris les autres mâles. Les quatre mammouths et les sept taureaux se tenaient face à face, dans une attente formidable. Aucun ne fit mine d’intervenir : ils se sentaient menacés eux-mêmes. Les mammouths donnèrent les premiers signes d’impatience. Le plus haut, avec un soufflement, agita ses oreilles membraneuses, pareilles à de gigantesques chauves-souris, et s’avança. Presque en même temps, celui qui combattait le taureau dirigeait un coup de trompe violent dans les jambes de l’adversaire. L’aurochs chancela à son tour et le mammouth se redressa. Les énormes bêtes se retrouvèrent face à face. La fureur tourbillonnait dans le crâne du mammouth ; il leva la trompe avec un barrit métallique et mena l’attaque. Les défenses courbes projetèrent l’aurochs et firent craquer l’ossature ; puis, obliquant, le mammouth rabattit sa trompe. Avec une rage grandissante, il creva le ventre de l’adversaire, il piétina les longues entrailles et les côtes rompues, il baigna dans le sang, jusqu’au poitrail, ses pattes monstrueuses. L’effroyable agonie se perdit dans un roulement de clameurs : la bataille entre les grands mâles avait débuté. Les sept aurochs, les quatre mammouths se ruaient dans une bataille aveugle, comparable à ces paniques où la bête perd tout contrôle sur elle-même. Le vertige gagna les troupeaux ; le beuglement profond des aurochs se heurtait au barrit strident des mammouths ; la haine soulevait ces longs flots de corps, ces torrents de têtes, de cornes, de défenses et de trompes.
   Les chefs mâles ne vivaient plus que la guerre : leurs structures se mêlaient dans un grouillement informe, une immense broyée de chairs, pétrie de douleur et de rage. Au premier choc, l’infériorité du nombre avait donné le désavantage aux mammouths. L’un d’eux fut terrassé par trois taureaux, un deuxième immobilisé dans la défensive ; mais les deux autres remportèrent une victoire rapide. Précipités en bloc sur leurs antagonistes, ils les avaient percés, étouffés, disloqués ; ils perdaient plus de temps à piétiner les victimes qu’ils n’en avaient mis à les battre. Enfin, apercevant le péril des compagnons, ils chargèrent : les trois aurochs, acharnés à détruire le colosse abattu, furent pris à l’improviste. Ils culbutèrent d’une seule masse ; deux furent émiettés sous les lourdes pattes, le troisième se déroba. Sa fuite entraîna celle des taureaux qui combattaient encore, et les aurochs connurent l’immense contagion de la terreur. D’abord un malaise d’orage, un silence, une immobilité étranges qui semblaient se propager à travers la multitude, puis le vacillement des yeux vagues, un piétinement pareil à la chute d’une pluie, le départ en torrent, une fuite qui devenait une bataille dans la passe trop étroite, chaque bête transformée en énergie fuyante, en projectile de panique, les forts terrassant les faibles, les véloces fuyant sur le dos des autres, tandis que les os craquaient ainsi que des arbres abattus par le cyclone.

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* là, j'aurais presque envie de dire "the most precious substance in the universe" ^^
** le texte intégral est lisible et téléchargeable sur Scribd
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